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Droit pénal et procédure pénale

Pourquoi il faut interdire l’usage des flash-balls

Le mouvement des gilets jaunes puis celui des lycéens a remis sur la table une question cruciale en matière de maintien de l’ordre : les forces de l’ordre peuvent-elles continuer à utiliser une arme aussi dangereuse ?

Dans un contexte de vives tensions et d’incidents graves entre forces de l’ordre et manifestants, l’utilisation dangereuse et immodérée de cette arme est devenue intolérable. Pour en finir avec ces actes barbares, il est urgent d’interdire leur utilisation. L’occasion de faire un bref tour d’horizon de leur cadre réglementaire d’utilisation, de leurs dérives et des résistances qui leur sont exprimées.

Actuellement, il existe deux types de lanceurs de balle en caoutchouc classés dans la catégorie des armes de force intermédiaire : le Flash-Ball Super pro et le lanceur de balle de défense 40×46 dit « LBD 40 ». Sous l’impulsion du Défenseur des droits et de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), le Flash-Ball Super pro ne fait désormais plus partie de la dotation des gendarmes mobiles et a été retiré de l’arsenal des policiers nationaux. Cela fait suite à de nombreux incidents liés à l’utilisation de cette arme et à son manque de précision.

Malgré cette interdiction, le Flash-Ball Super pro peut encore être utilisé par certaines unités de gendarmerie nationale lors d’opérations de maintien de l’ordre telles que des manifestations.

D’après le ministère de l’Intérieur, les armes de cette catégorie permettent de faire face à la multiplication des actes de violences et sont mieux adaptées pour assurer la protection et la sécurité des agents de police ainsi que celles des tiers.

Néanmoins, selon le Code de la sécurité intérieure, l’usage de ces armes ne doit être fait qu’en cas « d’absolue nécessité » et « de façon proportionnée au but à atteindre ou à la gravité de la menace ».

Une instruction relative à l’emploi des lanceurs de balles de défense a été donnée le 2 septembre 2014 par la police nationale et la gendarmerie nationale et précise leur cadre d’utilisation. L’emploi des Flash-Ball Super Pro est préconisé pour les courtes distances – entre 7 et 15 mètres – et celui du LBD 40 pour les longues distances. Il est précisé que ce dernier dispose d’un fort pouvoir d’arrêt – jusqu’à une distance maximale de 50 mètres – et présente des risques de lésion plus importants en deçà de 10 mètre. Surtout, les forces de l’ordre ont l’interdiction formelle de viser au niveau du visage ou de la tête.

Un tir de flash-ball dans le visage devrait être qualifié de tentative d’homicide volontaire

Or, comme nous avons pu le voir lors des récentes manifestations, de très nombreuses balles de caoutchouc ont été tirées à de faibles distances et/ou ont atteint des citoyens en plein visage, entraînant de graves infirmités. Si pour l’instant le pire a pu être évité, l’usage disproportionné des flash-balls a déjà causé la mort d’au moins une personne en France.

Ainsi, à partir du moment où des forces de l’ordre visent intentionnellement des parties du corps qu’ils savent interdites car potentiellement mortelles, il est légitime de se demander si ces faits ne peuvent pas être qualifiés de tentative d’homicide volontaire passible d’une condamnation de trente ans de réclusion criminelle par la Cour d’assises. De même, la perte d’un œil entraine la qualification d’infirmité permanente pouvant être punie de quinze de réclusion criminelle lorsqu’elle causée par une personne dépositaire de l’autorité publique.

Or, dans les faits, les rares condamnations en France ont entraîné des peines de prison avec sursis devant le tribunal correctionnel alors que se posait la question d’une requalification criminelle.

Le 27 novembre dernier, dans un arrêt Kilici contre Turquie, la Cour européenne des droits de l’Homme a d’ailleurs considéré que « de telles munitions, utilisées à faible distance, sont potentiellement dangereuses pour la vie ». Pour autant, dans la mesure où, en l’espèce, les blessures occasionnées par un flash-ball contre un manifestant turc étaient relativement légères – la balle avait atteint son dos sans rentrer dans son corps – la Cour a seulement condamné la Turquie sur le fondement de l’article 3 de la Convention réprimant les traitements inhumains et dégradants.

En France, à l’heure où les tirs de flash-balls occasionnent des blessures d’une grande gravité, susceptibles d’entraîner la perte d’un œil, des comas voire des décès, tout laisse à penser que la Cour européenne des droits de l’homme condamnerait la France non plus uniquement sur le fondement de l’article 3 mais également sur celui de l’article 2 concernant le « droit à la vie ».

Contrairement à la Turquie, s’il existe une réglementation de l’usage des flash-balls en France, celle-ci n’est visiblement pas respectée c’est pourquoi l’utilisation de ces armes potentiellement létales doit être interdite.

Le défenseur des droits recommande l’interdiction pure et simple des flash-balls

Dans une recommandation du 9 janvier 2018, le défenseur des Droits, Jacques Toubon, alertait déjà sur les dérives liées à l’usage des lanceurs de balle de défense. Il indiquait expressément que « la plupart des difficultés liées à l’usage des armes de force intermédiaire résulte de comportements individuels d’agents qui agissent en méconnaissance du cadre d’emploi de l’arme ». Face à ce constat, il a formulé sa volonté d’interdire l’usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre d’opération de maintien de l’ordre, quelles que soient les unités susceptibles d’intervenir.

Une arme également contestée par la police des polices

L’inspection générale de la police nationale, la « police des polices », préconisait dès 2014 l’abandon du flash-ball, jugé « obsolète » et à l’origine de trop nombreuses blessures graves lors d’intervention des forces de l’ordre. La directrice de l’inspection générale de la police nationale, Madame Moneger-Guyomarc’h, avait affirmé suite à la réalisation d’une étude sur le flash-ball : « Nous avons recommandé de ne pas le garder et de le remplacer par un nouveau lanceur de balles plus précis ».

La liberté de manifester est un droit fondamental dans notre démocratie et les forces de l’ordre doivent garantir la sécurité de tous les citoyens lors des mouvements de revendications sociales. Mais la loi leur impose également de « se comporter en toutes circonstances d’une manière exemplaire, propre à inspirer en retour respect et considération. »

Or, en ayant recours à un usage immodéré des flash-balls, il n’est pas certain que cet objectif soit atteint. Ainsi, il est urgent d’interdire purement et simplement le recours à ces armes potentiellement létales puisque cela permettrait de protéger à la fois les citoyens mais également les forces de l’ordre qui s’exposent à des poursuites pénales de nature criminelle.