03.07.2015
Actualité
L’ITT : une notion antimédicale et antijuridique
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L’idée directrice est certes noble, à savoir de contrer la criminalité organisée, dont l’objectif est le profit, ce même profit qui permet d’en assurer le fonctionnement.
Cependant, comme souvent, ces procédures qui ont fait leur entrée par la porte de la criminalité organisée se retrouvent généralisés à des délits de droit commun.
L’actualité récente, illustrée par la saisie de propriétés secondaires en France et au Maroc, appartenant à un député et à son épouse, le démontre une fois encore.
En tout état de cause, la fin ne justifie pas toujours les moyens.
Les saisies en tant que telles existent de longue date en procédure pénale. Leur objectif premier est de conserver les indices susceptibles de contribuer à la manifestation de la vérité, en raison, notamment, des constatations qu’ils permettent, ou des traces et empreintes qu’ils supportent.
Dès lors, si ces saisies probatoires constituent, en elles-mêmes, une atteinte au droit de propriété de celui qui est privé de son bien, celle-ci est justifiée par un impératif supérieur, la détermination de l’exactitude des faits objets des poursuites.
Tel n’est pas le cas de nouvelles formes de saisies, dites « spéciales », instaurées en substance par la loi Perben II du 9 mars 2004, et entérinées par une loi du 9 juillet 2010, dont l’objectif est purement conservatoire.
Dans ce contexte en effet, les saisies n’ont plus pour but la recherche de la vérité mais un gel de patrimoine, dans l’optique d’assurer l’exécution d’une condamnation pénale future et hypothétique, qui prononcerait une confiscation, une amende ou encore l’indemnisation des parties civiles.
En fonction des cas particuliers concernés, très éloignés, désormais, des seules hypothèses de criminalité organisée, ces saisies avant jugement peuvent porter sur tous les biens meubles, tels que des objets, des parts sociales ou encore de l’argent placé en banque, de même que sur les immeubles, pour un montant équivalent au produit estimé de l’infraction, sans qu’il soit nécessaire d’établir que ces biens aient un quelconque lien avec celle-ci, puisque la loi du 27 mars 2012 a consacré le principe de saisie « en valeur ».
Pourtant, par définition, ni l’infraction, ni, à plus forte raison, son produit, ne sont judiciairement établis à ce stade, qui demeure celui de l’enquête ou, le cas échéant, de l’instruction.
Si l’objectif est d’éviter la dilapidation des sommes et la disparition des biens dans le cadre de procédures qui, pour aboutir au prononcé d’une décision définitive, peuvent être longues, c’est également cette longueur de procédure qu’ont à subir les personnes injustement privées de leurs biens, lorsqu’elle aboutit à un non-lieu, une relaxe ou un acquittement.
Or, le principe cardinal de présomption d’innocence doit primer sur des considérations économiques, quels qu’en soient leurs objectifs finaux, et ce d’autant plus dans le cadre particulièrement prématuré de l’enquête, alors que la présence d’indices graves et concordants n’a, à ce stade, fait l’objet d’aucun débat.
Qui plus est, non content d’avoir élargi le spectre de la loi jusqu’à créer une possibilité de saisie « en valeur », le législateur a également prévu que celle-ci puisse s’effectuer, non uniquement sur les biens dont la personne mise en cause est propriétaire, mais également sur ceux dont elle a la « libre disposition », sous réserve, lorsqu’elle est prévue, des « droits du propriétaire de bonne foi ».
Cette réserve ne vient cependant pas combler le vide créé par l’imprécision du terme de « libre disposition » qui, dans le respect des concepts juridiques fondamentaux, devrait ainsi circonscrire cette possibilité de saisie aux seuls biens sur lesquels la personne mise en cause peut, librement, accomplir les « actes de disposition », c’est-à-dire, en premier lieu, la vente.
Or, telle n’est pas l’acception adoptée par la jurisprudence, qui s’oriente vers ce que la doctrine qualifie de « conception économique » de la notion de libre disposition, à la fois plus large et plus flexible.
C’est ainsi que des tiers, personne physiques ou morales, peuvent être atteints par des mesures de saisie dans le cadre de procédures qui ne les concernent pas, et ce, en violation des principes non plus seulement de présomption d’innocence, mais également de droit de propriété et de personnalité de la peine.
Là encore, la fin, à savoir la volonté de « lutter contre le recours à des prête-nom ou à des structures sociales » ne peut justifier les moyens mis en œuvre pour y aboutir.
« Nul ne peut tirer profit de son délit », pourquoi pas.
Encore faudrait-il qu’il y ait délit, et que ce soit le sien.
Toutes ces atteintes sont néanmoins justifiées, dans les hautes sphères, par l’intervention d’un magistrat du siège pour y procéder.
Aussi, la décision de procéder à une saisie est en principe prise par le procureur de la République, sur autorisation du juge des libertés et de la détention dans le cadre de l’enquête, du magistrat instructeur dans le cadre de l’information judiciaire.
Concernant la saisie de sommes inscrites au crédit des comptes de dépôt néanmoins, la loi du 6 décembre 2013 a aménagé une procédure dérogatoire, aux termes de laquelle il revient aux officiers de police judiciaire d’y procéder, sous réserve de l’accord donné, « par tout moyen », par le procureur de la République ou par le magistrat instructeur.
Le magistrat du siège concerné, juge des libertés et de la détention ou juge d’instruction, dispose alors d’un délai de dix jours pour se prononcer sur la mainlevée ou le maintien de la saisie.
Autre raison ayant permis d’éviter la censure constitutionnelle, l’existence de voies de recours.
En effet, la loi prévoit un droit d’appel, dans un délai de dix jours à compter de la notification de l’ordonnance de saisie, devant la chambre de l’instruction, pour le ministère public, le propriétaire du bien saisi et, « s’ils sont connus, les tiers ayant des droits sur ce bien », droit d’appel non-suspensif.
Pourtant, cette voie de recours n’est, là encore, pas satisfaisante et attentatoire aux droits fondamentaux, et plus particulièrement aux droits de la défense, dans la mesure où, pour son exercice, « l’appelant ne peut prétendre (…) qu’à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste ».
Aussi, s’il est mis en examen, l’appelant aura accès à l’entier dossier, mais s’il s’agit d’une saisie opérée dans le cadre d’une enquête, ou de l’appel exercé par le propriétaire d’un bien qui a été estimé comme étant à la « libre disposition » de la personne mise en cause, l’accès à la procédure ne sera que partiel.
Or, les droits de la défense ne peuvent s’exercer utilement qu’en connaissance de l’entier dossier, d’autant plus qu’il n’est nullement précisé ce que recouvre la notion de « seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie », qui peut dès lors être interprétée de manière plus ou moins restrictive au gré des juridictions et des espèces.
La question se pose par ailleurs de savoir ce que deviennent ces biens, une fois saisis.
A ce titre, la loi du 9 juillet 2010 a créé l’Agence de Gestion et de Recouvrement des Avoirs Saisis et Confisqués (AGRASC), établissement public administratif auquel il revient, en premier lieu, la « gestion centralisée de toutes les sommes saisies lors de procédures pénales » (art. 706-160 c. pr. pén.).
L’AGRASC dispose également de la compétence exclusive pour procéder, le cas échéant, à la vente, avant jugement, des biens meubles saisis « lorsque le maintien de la saisie serait de nature à diminuer la valeur du bien » (art. 41-5 c. pr. pén.).
En d’autres termes, la loi prévoit que puissent être vendus les biens de personnes dont la culpabilité n’a pas été établie, et n’a, lorsque ces ventes sont réalisées avant l’ouverture même d’une information judiciaire, à aucun moment été débattue, de même que les biens appartenant à des tiers, en cas de recours à la notion de « libre disposition ».
Cette possibilité d’aliénation, dont la mise en œuvre est largement encouragée par l’AGRASC, qui voit son financement en partie assuré par le produit de ces ventes, était initialement placée sous le contrôle du juge des libertés et de la détention, qui devait l’autoriser.
Or, depuis la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, ce pouvoir d’autorisation et, partant, de contrôle, est dévolu au procureur de la République, qui n’est, en tout état de cause, pas un magistrat du siège, si tant est qu’il puisse, au-delà de considérations purement statutaires, être considéré comme un magistrat.
Habile procédé que d’avoir inséré cette réforme au sein d’une loi tentaculaire, contenant à la fois des dispositions de droit civil, d’administration territoriale, d’autres relatives aux procédures civiles d’exécution, au tribunal des conflits, au code du cinéma et de l’image animée, et à la procédure pénale.
Plus habile encore d’avoir introduit cette réforme, absente du texte initial, par voie d’amendement, lors de la première lecture à l’Assemblée, après une première lecture au Sénat, et ce sous le titre « dispositions relatives à la communication par voie électronique » prévoyant initialement la possibilité d’adresser des convocations et autres documents, en matière pénale, par voie électronique.
Ces manœuvres expliquent certainement que le texte soit passé inaperçu ou n’ait, du moins, pas eu l’écho qu’une telle innovation procédurale mérite, au vu des conséquences qu’elle engendre.
Le rapport établi au nom de la commission des lois s’interrogeait pourtant sur l’opportunité d’une telle modification :
« Votre rapporteur constate que la procédure actuelle, qui impose le recours au juge des libertés et de la détention pour permettre la remise du bien à l’AGRASC, ne fait pas aujourd’hui de difficulté. Pourquoi vouloir lui substituer une autre procédure, largement inédite, et entourée de moins de garantie (…) ? »
Sur autorisation du procureur de la République, donc, les biens saisis et susceptibles de dévalorisation peuvent être vendus avant tout jugement, sous réserve d’appel dans les cinq jours de la notification de la décision.
Il est largement fait recours à cette procédure puisque en 2014, plus de 2000 biens ont été vendus, pour un bénéfice total de 4,1 millions d’euros.
La volonté d’éviter une détérioration ou une dévalorisation du bien saisi, rappelons-le, au mépris du principe de présomption d’innocence, s’entend.
Aussi, si la personne bénéficie d’un non-lieu, d’une relaxe ou d’un acquittement, elle récupère, en théorie, son bien « en valeur ».
En théorie seulement.
En effet, l’aliénation des biens est confiée par l’AGRASC au service France Domaine, relevant du Ministère des Finances et des Comptes Publics, ou à des commissaires-priseurs judiciaires.
Dans le cadre de ces procédures néanmoins, les biens sont particulièrement sous-évalués, comme le déclarait, quasi-explicitement, Madame Elisabeth PELSEZ, ancienne directrice de l’AGRASC :
« L’AGRASC peut désormais vendre avant jugement les biens qui leurs sont confiés par la justice. Notre objectif est de le faire rapidement, à un prix intéressant, afin que les biens ne figurent plus dans les stocks des tribunaux ».
C’est ainsi que les sommes issues de ces ventes, restituées aux personnes innocentées, « si (elles) en font la demande » (art. 41-5 c. pr. pén.) ne sont jamais équivalentes à la valeur réelle de leur bien au moment de la saisie, si tant est, du reste, qu’une compensation en valeur soit satisfaisante.
Ces personnes étaient pourtant présumées puis déclarées innocentes.
Une telle solution ne saurait être admise en l’état, et nécessite le recours à des spécialistes du stockage, de l’évaluation et de la vente des produits concernés.
« Nul ne doit tirer profit de son délit », parait-il.
Si la cause est belle, rappelons, pour conclure, qu’en 2014, l’AGRASC a restitué aux personnes saisies près de 23 500 000 euros…