Skip to main content

Droit pénal et procédure pénale

Les visages mutilés des gilets jaunes indiffèrent la Cour européenne des droits de l’homme

Contrairement au Défenseur des droits français, au Parlement européen, au Commissaire européen aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe et finalement l’ONU, la Cour européenne des droits de l’homme ne trouve rien à redire sur l’usage de lanceurs de balles de défense (LBD) qui, chaque semaine, mutilent de nouveaux manifestants.

L’ensemble des organes de promotion des droits de l’homme, français ou internationaux, condamne pourtant depuis le mois de décembre l’utilisation de ces armes dites non létales en raison de son inadaptation aux opérations de maintien de l’ordre et de sa dangerosité pour les personnes.

Le 6 mars dernier, la Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations-unies a ainsi épinglé la France sur les violences policières commises depuis le début de la crise des gilets jaunes.

Il était donc naturellement attendu de la Cour européenne des droits de l’homme une réaction à la hauteur de la menace pour faire cesser les traitements inhumains et dégradants et les atteintes au droit à la vie.

Malheureusement, par deux fois, les 18 décembre 2018 et 15 février 2019, la Cour européenne des droits de l’homme a, de manière décevante, rejeté les demandes visant à faire provisoirement interdire l’utilisation de lanceurs de balles de défense (LBD) et de liquides incapacitants par les forces de l’ordre.

Cette mesure était pourtant la seule de nature à pouvoir contraindre les autorités françaises.

A de nombreuses reprises, la Cour européenne des droits de l’homme a indiqué dans ses décisions que le but de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme est de protéger des droits non pas théoriques et illusoires mais concrets et effectifs et que la protection de ces droits ne saurait résulter d’une attitude passive des États.

Mais à en voir l’attitude adoptée par la Cour elle-même, à savoir l’absence de prise de position, la portée de telles affirmations de principe laisse songeur.

La condamnation de l’utilisation de lanceurs de balles de défense (LBD) par les organismes de promotion des droits de l’homme

Fort du constat « d’interventions policières d’une ampleur sans précédent » et d’atteintes à un certain nombre de droits et libertés fondamentaux, le Secrétariat général de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, pourtant rattaché au Premier ministre, a alerté en décembre dernier les organes de surveillance de l’ONU sur le maintien de l’ordre.
Le 19 janvier, à la lumière des réclamations récentes et multiples liées à l’usage du lanceur de balles de défense 40×46, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, recommandait publiquement « d’interdire l’usage des lanceurs de balle de défense dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre, quelle que soit l’unité susceptible d’intervenir ».

Au regard de son « caractère inadapté » et de « la gravité des blessures constatées », il présentait des observations au soutien de la demande de suspension provisoire des textes permettant l’usage de lanceurs de balles de défense (LBD) devant le juge des référés du Conseil d’État, demande qui fut rejetée.

L’augmentation du degré de gravité des blessures et les répercussions médiatiques mondiales ont conduit les organisations internationales à se saisir de la question.

Le Parlement européen a le premier condamné « le recours à des interventions violentes et disproportionnées par les autorités publiques lors de protestations et de manifestations pacifiques », par sa résolution du 14 février 2019.

Le « recours aveugle à la force contre la foule est contraire au principe de proportionnalité » faisaient observer les députés européens. Ils invitaient les autorités françaises à veiller à ne faire usage de la force qu’en dernier ressort et de manière à préserver la vie et l’intégrité physique des manifestants

La Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Michelle BACHELET, a interpellé la France sur « les cas rapportés d’usage excessif de la force » et l’a invitée à réaliser urgemment une enquête approfondie.

Le 26 février dernier, la Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a jugé que « les blessures à la tête occasionnées par des tirs de LBD révèlent un usage disproportionné de la force ainsi que l’inadaptation de ce type d’arme ».

Ce constat interroge, selon elle, la compatibilité des méthodes utilisées lors des opérations de maintien de l’ordre avec le respect des droits fondamentaux des citoyens.

La Cour européenne des droits de l’homme, pourtant rouage principal du Conseil de l’Europe et juridiction garante de ces droits fondamentaux, reste, quant à elle, la grande absente du débat.

Un refus alarmant de prendre position de la Cour européenne des droits de l’homme

Éborgné, la mâchoire et l’orbite fracturées, les dents cassées, les lèvres ouvertes, quatre gilets jaunes et un lycéen ont saisi le 17 décembre 2018 la Cour européenne des droits de l’homme de leurs blessures dues au lanceur de balles de défense (LBD).

Afin d’éviter de recenser de nouvelles victimes, les cinq requérants demandaient à la Cour européenne de reconnaître l’atteinte au droit à la vie et le caractère inhumain et dégradant des violences policières en ordonnant à la France d’interdire provisoirement l’usage de lanceurs de balles de défense (LBD) par les forces de l’ordre lors des mouvements sociaux à venir.

« La demande a été transmise à une chambre de la Cour qui a décidé, aujourd’hui, de ne pas indiquer au gouvernement français, en vertu de l’article 39 du règlement, la mesure provisoire sollicitée. »

C’est par cette phrase lapidaire que les victimes des tirs des forces de l’ordre se sont vues refuser leur demande le lendemain. La Cour européenne n’a même pas pris la peine, y compris dans son communiqué de presse, d’indiquer les raisons motivant ce refus.

A cette période, aucune organisation ne s’était encore officiellement prononcée sur le traitement infligé aux manifestants.

Le 4 février dernier, 12 122 tirs de lanceurs de balles de défense (LBD), 4 942 tirs de grenades de désencerclement et 1 428 tirs de grenades lacrymogènes instantanées était recensés depuis le début – en novembre – du mouvement des gilets jaunes.

Devant ce nombre incroyablement élevé, trois des requérants ont réitéré leur demande d’interdiction provisoire devant la Cour européenne des droits de l’homme, le 14 février 2019. Ils ont attiré son attention sur le risque imminent et irréparable existant en France.

L’interdiction provisoire des lanceurs de balles de défense (LBD) se justifiait plus que jamais au regard de la condamnation de leur utilisation par le Défenseur des droits et le Parlement européen. Le refus du Conseil d’État de prononcer cette mesure, acté le 1er février 2019, crée une situation irrémédiable qui nécessite une intervention internationale.

La Cour européenne des droits de l’homme bénéficiait alors du soutien et d’éléments nouveaux lui permettant d’interdire provisoirement le recours aux lanceurs de balles défense (LBD) lors des opérations de maintien de l’ordre.

Pourtant, dès le lendemain de la demande, elle a jugé que sa première décision, rendue le 18 décembre 2018, restait « valable » et n’a pas considéré utile d’expliquer les raisons de son refus réitéré de prendre position.

Elle a également invité les victimes qui la saisissaient à tenter un recours au fond, repoussant la date de son intervention de quelques trop nombreuses années au regard des délais de procédure.

Bien que la Cour ait précisé ne faire droit aux demandes de mesures provisoires qu’à titre exceptionnel « lorsque les requérant seraient exposés – en l’absence de telles mesures – à un risque réel de dommages irréparables », son absence de positionnement est incompréhensible, plus encore aujourd’hui suite à l’intervention de l’ONU.

Cette incompréhension résulte du caractère justement exceptionnel de la situation, largement souligné par la communauté internationale, et de la jurisprudence antérieure de la Cour européenne concernant les mesures provisoires.

Par le passé, les juges européens ont déjà prononcé des mesures provisoires pour protéger des requérants des menaces contre leur vie ou des traitements inhumains et dégradants, dans des cas d’expulsion ou d’extradition vers un pays où ils risquaient la torture.

Or, les menaces d’atteintes au droit à la vie et de traitements inhumains ou dégradants pesant sur les manifestants sont très exactement ce que démontraient les requérants. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà condamné la Turquie, le 23 novembre 2018, pour traitements inhumains et dégradants en raison de l’usage de lanceurs de balles de défense (LBD) dans son arrêt Kilic c. Turquie.

La décision des juges européens des droits de l’homme était très attendue puisque les avis des organisations internationales déjà évoquées n’ont qu’une valeur consultative. Elle en est d’autant plus décevante que la violation des droits fondamentaux persiste en France et que seul le prononcé d’une mesure provisoire pouvait juridiquement contraindre les autorités françaises à cesser d’allonger la liste des victimes.

L’excès de prudence de la Cour européenne en vue de rassurer les prétentions souverainistes

A la question de savoir pourquoi la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas fermement condamné l’usage de lanceur de balles de défense (LBD), l’hypothèse la plus plausible est celle de la lassitude de ses juges d’une crise de légitimité qui n’en finit plus.

La garantie de l’État de droit et du respect des droits humains, c’est en vue de cet objectif qu’a été fondé le Conseil de l’Europe en 1949, lequel adoptait la Convention européenne des droits de l’homme en 1950 et instituait la Cour européenne des droits de l’homme en 1959.

La Cour a rapidement su s’imposer comme un organe essentiel de protection des droits fondamentaux largement salué.

Or, depuis quinze ans, elle subit de vives attaques de la part des États membres du Conseil de l’Europe, qui entendent fragiliser sa légitimité par soucis de satisfaire les aspirations souverainistes et nationalistes au mépris de la réalité. Ces dernières années, ces remises en cause sont de plus en plus nombreuses et de plus en plus caricaturales.

En octobre 2014, l’ancien Premier ministre britannique, David Cameron, s’était publiquement exprimé en faveur d’une sortie par le Royaume-Uni de la Convention européenne des droits de l’homme. Il ne dénonçait pas les textes, mais leur interprétation par la Cour européenne des droits de l’homme, qu’il érigeait en symbole de la perte de souveraineté du Parlement britannique. Il faisait notamment allusion à l’arrêt Hirst c. Royaume-Uni, condamnant en 2005 son pays pour la déchéance automatique du droit de vote des détenus.

Depuis 2016, la Russie s’affranchit des décisions de la Cour, que le pays n’applique plus lorsqu’il les juge contraires au droit constitutionnel russe. Or, la loi fédérale russe permet justement depuis 2015 à la Cour suprême de déclarer inconstitutionnelles des décisions de la Cour.

En novembre dernier, le président turc a déclaré que ces décisions ne les contraignaient « aucunement », alors qu’elle ordonnait, par l’arrêt Demitras c. Turquie, la remise en liberté d’un opposant kurde.

La France n’est pas en reste et de nombreuses critiques à l’endroit de la Cour européenne visent à la décrire comme trop progressiste ou encore trop complaisante à l’endroit du communautarisme.

Durant la campagne présidentielle française de 2017, François Fillon a menacé de quitter la Convention européenne des droits de l’homme au motif que la juridiction européenne obligerait la France à autoriser la gestation pour autrui. En réalité, elle ne condamnait que l’absence de reconnaissance par les autorités des enfants nés d’une GPA.

La dernière polémique en date concerne l’arrêt Molla Sali c. Grèce rendu par la Cour le 19 décembre 2018. Certains détracteurs français, comme Grégor Puppinck, affirmaient qu’il créait un « droit à la charia » parce qu’il condamnait l’application forcée de la charia et non la charia en elle-même.

De nombreux élus ont ainsi profité de l’aubaine pour indiquer que la Cour européenne des droits de l’homme venait d’accepter que la loi islamique soit appliquée en Europe. Or, au contraire, cet arrêt renforçait la protection des libertés face à la loi religieuse.

Ces critiques, comme nous avons pu le voir, reposent sur des caricatures des décisions prises par la Cour européenne des droits de l’homme, qui résonnent comme des humiliations internationales pour les États signataires, et encore davantage pour la France ou le Royaume-Uni qui se revendiquent patries des droits de l’homme.

Les multiples polémiques qui entourent ces décisions sont de fermes rappels à l’ordre de ce que les juges européens n’existent que pour l’unique raison que les États y ont expressément consentis. Face à ces réprimandes nationales, la Cour européenne des droits de l’homme a naturellement été conduit à faire preuve de diplomatie.

Aujourd’hui, au regard de son excès de prudence et de son absence de prise de position réitérée sur le maintien de l’ordre en France, il est loisible de se demander si la fonction diplomatique de la Cour n’a pas surpassé sa fonction juridictionnelle.

En cherchant à ce point à préserver son existence, la juridiction supposée protéger nos droits fondamentaux ne le fait-elle pas au prix de ceux-ci ?

En tout cas, l’usage de lanceurs de balles de défense (LBD) est encore à ce jour autorisé en France alors que les manifestations se poursuivent, sauf dans la commune de Phalsbourg, voisine de la Cour européenne des droits de l’homme, où le maire a décidé d’agir face à la démission des plus hautes autorités en interdisant de manière symbolique son utilisation.

La passivité de la juridiction européenne est-elle compatible avec son titre de Cour européenne des droits de l’homme ?